Depuis quelque temps, on observe une montée en flèche des polémiques autour du physique, du genre ou de l'orientation des personnages dans les jeux vidéo. Ces débats s’inscrivent souvent dans ce que l’on qualifie aujourd’hui de « woke ».

À l’origine, « woke » provient de l’expression « Stay woke », qui signifie « Rester éveillé ». Employé par la communauté afro-américaine au début du XXe siècle, ce terme appelait à rester vigilant face aux oppressions et discriminations omniprésentes. Peu répandu à l’époque et faute de la portée d’Internet, il est resté discret dans les médias. Ce n’est qu’à la fin du siècle, avec l’émergence de mouvements comme Black Lives Matter, qu’il a pris une place plus importante dans les discours sociaux, suscitant à la fois adhésion et controverse.

Plus récemment, le terme a été repris, de manière péjorative, par certains politiciens et commentateurs conservateurs pour critiquer ce qu’ils perçoivent comme une sensibilité excessive ou un militantisme exacerbé de la jeune génération. Pourtant, il est essentiel de rappeler que les problèmes sociaux auxquels ces sensibilités répondent sont bien réels.

Certes, il peut être difficile pour certains de comprendre ces luttes, surtout si leur propre expérience de vie n’a pas été marquée par des discriminations liées à leur couleur de peau, leur genre ou leur orientation sexuelle. Cela peut conduire à minimiser les souffrances d’autrui en les interprétant comme des exagérations. Cependant, ignorer ou banaliser ces problèmes revient à passer à côté de réalités profondément ancrées dans notre société : des agressions subies par des personnes LGBTQ+ simplement pour avoir osé exprimer leur amour en public, des inégalités persistantes dans les environnements professionnels, ou encore du harcèlement en ligne ciblant spécifiquement les femmes.

Ces questions sont complexes, et il est normal que des opinions divergent. Cependant, dans le cadre de l’univers vidéoludique, il est frappant de constater à quel point certains changements ou inclusions peuvent déclencher des réactions exagérées. Il serait peut-être plus constructif d’aborder ces évolutions avec une ouverture d’esprit et une réflexion sur ce qu’elles apportent en termes de diversité et de représentation, plutôt que de les considérer comme une menace pour les traditions du média.

 

Les monsieurs/madames tout-le-monde, ce sont nos héros de tous les jours. (Watchdog Legion)

 

Pour comprendre pourquoi la vague anti-woke s'est immiscée dans mon univers préféré, il est utile de remonter à ses origines. Prenons des jeux comme Dragon Age Veilguard, Assassin’s Creed Shadows ou encore Mass Effect The Board Game : pourquoi certains titres suscitent-ils tant de critiques, parfois même avant leur sortie ? Ces réactions traduisent-elles de véritables problématiques sociales, ou révèlent-elles des préjugés raciaux, du sexisme, et des biais homophobes ?

Pour répondre, retournons à une époque où les jeux vidéo étaient considérés comme une niche, souvent associée à un public de passionnés introvertis. À cette époque, les recettes pour un jeu attractif étaient simples et bien établies : un héros musclé, une fille à sauver, des guns et des explosions. Cela suffisait à captiver un public en quête d’aventure et, parfois, d’un peu d’amour-propre.

C’étaient aussi mes premiers jeux. Et même en tant que nana, j’ai toujours adoré ravager des hordes hostiles dans Duke Nukem, Doom, Call of Duty, Halo, Silent Hill, Devil May Cry, Metro Last Night, Clive Barker’s Jericho, Splinter Cell, Resident Evil, Fear, Lost Planet, Army of Two… Une collection impressionnante qui partage un point commun: la quasi-totalité des protagonistes étaient des hommes blancs.

À l’époque, cela semblait parfaitement normal. Peu de gens s’interrogeaient sur le manque de diversité dans les personnages, moi incluse. J’évoluais dans un univers masculin que je trouvais fun et cool. Même les mangas me bombardaient de figures masculines imposantes, et de femmes faibles servant uniquement de symbole sexuel, d’objet de victoire, ou de teinte de douceur dans un monde de brutes. Bien sûr, il y avait des exceptions notables comme Metroid ou Tomb Raider, mais même ces héroïnes étaient souvent perçues à travers le prisme de la séduction, hypersexualisées, plutôt que comme des modèles pour les joueuses.

En parallèle, le cinéma suivait une logique similaire : les héros étaient majoritairement des hommes blancs, et les tentatives d’introduire plus de diversité se résumaient souvent à un personnage noir ou féminin pour "faire la différence". Cette représentation limitée a fait questionner mon cerveau d’enfant curieux : pourquoi si peu de diversité ? Pourquoi des rôles secondaires pour les femmes et les minorités ?

 

Dès que le casting est exclusivement féminin, les critiques fusent et les notent baissent. Uncharted Lost Legacy, Ghosbusters, Men in Black...

 

Dans les années 2000, avec l’émergence de plateformes comme YouTube et Dailymotion, ces catégorisations ont continué à se refléter. Les créateurs de contenu étaient majoritairement masculins, tandis que les femmes se concentraient souvent sur des sujets stéréotypés comme la mode ou le maquillage. Cette distinction entre genres, enracinée dans notre éducation, a été difficile à contrecarrer. On apprenait aux garçons à aimer le bleu, le sport et les voitures, tandis que les filles étaient associées au rose, aux poupées et aux tâches domestiques.

Bien que ces stéréotypes commencent lentement à s’éroder, ils persistent dans certaines familles ou cultures plus traditionnelles. Dans mon propre entourage, d’origine italienne, je vois encore des préférences marquées : mon oncle, par exemple, accorde plus d’attention à son fils, lui enseignant même à conduire alors que ses gambettes ne touchent même pas les pédales, tandis que sa fille plus âgée n’a pas eu cette chance. Leurs chambres sont littéralement rose et bleu. Ces comportements reflètent à quel point l’égalité et la liberté de choix, en termes de genre, progressent lentement.

L'univers du jeu vidéo s'est progressivement démocratisé, notamment grâce à Nintendo, qui a adopté une approche visant le Tout Public, les familles entières, et non plus seulement les garçons. Puis quelques studios, ayant les moyens de tenter un quitte ou double, ont abordés des sujets tabous jusqu’alors. Ce changement de paradigme a marqué une transition importante : certains joueurs ont-ils eu du mal à accepter qu'ils ne soient plus le centre de l'attention des studios ?

 

La transition du studio Bioware a été flagrante. Ici entre Dragon Age 2 et Dragon Age 4.

 

Ce phénomène dépasse cependant le simple cadre du divertissement et s’inscrit dans une véritable guerre culturelle et politique. Ces débats se sont intensifiés à mesure que des groupes politiques, notamment des courants conservateurs ou d'extrême droite, ont commencé à détourner le terme « woke ». Comme l’explique L’ADN, « le terme devient une arme de disqualification massive utilisée à tort et à travers par la droite conservatrice. Sur Twitter, le "woke" sert à justifier, pêle-mêle, les fractures de la République, la montée des questions identitaires, la dérive d’une frange de la gauche ou même parfois l’augmentation du prix de la baguette. »

La jeune génération est souvent pointée du doigt dans ce contexte. Mais qu’y a-t-il de si choquant à ce qu’elle cherche à remettre en question certains modèles sociaux anciens ? Malheureusement, ce débat est parfois instrumentalisé, et il est troublant de constater combien certaines idées radicales trouvent encore un écho aujourd’hui. Ce qui devrait être une discussion constructive sur l’inclusion et la diversité peut parfois dégénérer en haine injustifiée, notamment sur les réseaux sociaux.

Des questions simples se posent : en quoi un personnage queer dans un jeu vidéo constitue-t-il un problème ? Pourquoi une représentation plus diverse serait-elle perçue comme une menace ? Après tout, le but principal d’un jeu reste de jouer et de s’amuser. Pourtant, pour certains, modifier les habitudes ou introduire de nouveaux thèmes semble être un bouleversement majeur, suscitant des réactions disproportionnées. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à voir sa vie basculer pour un domaine aussi trivial que le divertissement ? Au final, n’est-ce pas là aussi une preuve des troubles de la personnalité inhérent à l’ancienne génération, qui se sent personnellement visée, jusqu’à la paranoïa ?

Il est inquiétant de voir des comportements hostiles émaner des millénials, alors même que nous devrions être plus ouverts et conscients des injustices. L’idée même de justice implique le respect des droits et des mérites de chacun, et rejeter la diversité, que ce soit dans les jeux vidéo ou ailleurs, reflète une forme d’injustice qui rappelle des dérives historiques ressemblant à la Croix Gammée...

Cela dit, il est important de souligner qu’une grande variété de jeux continue à exister pour tous les goûts. Des titres comme God of War, The Witcher, GTA, Diablo, ou encore Ghost of Tsushima restent fidèles à des styles et à des narrations plus classiques, souvent centrés sur des héros masculins. Par ailleurs, de nombreux jeux japonais explorent des genres qui continuent de séduire un public spécifique. Alors, il est inutile de se lancer sur de la Cancel Culture pour un seul titre qui explore de nouveaux horizons.

Le paysage vidéoludique ne fait qu’évoluer, offrant à la fois de nouvelles perspectives et des expériences familières. Au lieu de s'opposer au changement, pourquoi ne pas voir cela comme une opportunité d’enrichir nos horizons tout en conservant ce qui nous passionne ?

 

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Certaines licences ont réussi à évoluer en douceur en intégrant des options plus inclusives, comme la possibilité de choisir le genre ou l’apparence de son personnage au début du jeu, sans que cela suscite polémique. Des titres comme Far Cry, Mass Effect, Assassin’s Creed Odyssey, Cyberpunk 2077 ou The Outer Worlds ont adopté cette approche. De plus, des personnages issus de différentes origines ethniques apparaissent dans des jeux tels que GTA ou Far Cry, même si ces univers sont souvent axés sur des récits de criminalité, ce qui du coup, fait cliché.

Ces évolutions reflètent une volonté de s’ouvrir à un public plus large, mais elles semblent perturber certains joueurs habitués à des codes plus traditionnels. Pour certains, ces changements représentent une remise en question des récits et des personnages qui les faisaient rêver autrefois. Pourtant, cette évolution s’inscrit dans des valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de diversité.

La jeune génération, moins marquée par les débuts du jeu vidéo, a grandi avec des titres comme Fortnite, Watch Dog Legion, Star Wars Outlaws, Life is Strange, BG3, où la diversité des personnages et/ou la personnalisation sont devenues des normes. Ces jeux, en permettant à chacun de se reconnaître dans les personnages, contribuent à une culture plus inclusive et ouverte à la diversité. On retrouve des femmes moins féminines, moins sujet de fantasmes. Des handicaps. Des personnages pour qui leur recherche d'identité est un véritable parcours...

En revanche, certains joueurs attachés à des modèles plus anciens perçoivent ces évolutions comme une rupture. Leurs critiques s’appuient parfois sur des arguments politiques, mais ces réactions traduisent souvent une difficulté à s’adapter à un paysage vidéoludique en évolution. Il serait intéressant pour ces détracteurs de faire une introspection sur leurs véritables peurs et traumatismes, qui les poussent à rejeter toute forme de progrès social.

 

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Les jeunes générations d’aujourd’hui grandissent dans un monde où l’expression de leur identité est plus libre : qu’ils soient vegan, noirs, gays, non-binaires ou simplement eux-mêmes, ils évoluent dans une société qui valorise davantage la diversité. Ils s’épanouissent avec des jeux comme Baldur’s Gate III, Life is Strange, Hogwarts Legacy, Dragon Age Veilguard, Far Cry New Dawn, ou The Last of Us, des titres riches en diversité, tant sur le plan des personnages que des récits.

Les studios se tournent naturellement vers eux, car c’est leur génération qui façonnera l’avenir du jeu vidéo. C’est une évolution normale. Après tout, nous avons grandi dans un contexte bien différent : à l’époque de Windows 95, les choses semblaient plus simples, mais aussi bien moins inclusives. Le monde était perçu en noir et blanc. Aujourd’hui, il commence enfin à embrasser toutes ses nuances de gris, et c’est une richesse.

Certains critiques de cette évolution expriment leurs désaccords en évoquant des craintes de « tyrannie culturelle » ou de « propagande ». Cependant, il est important de rappeler que toute société évolue, et ces changements reflètent une volonté de mieux représenter la diversité culturelle qui existe dans la réalité. Si un jeu ou une œuvre ne correspond pas à vos préférences, il existe toujours d’autres options pour répondre à vos goûts.

La lutte contre l’injustice est une lutte éternelle, même si elle prend de nouvelles formes avec le temps. L’objectif reste le même : permettre à chacun de se sentir vu et entendu, y compris dans les médias comme les jeux vidéo. Accepter cette diversité, c’est contribuer à un monde plus équitable, où chacun a une place.

 

Ce qu'on ne comprend pas n'est pas forcément mauvais.

 

En conclusion, nous avons 5 points à retenir :

- Les jeux vidéo, comme tous les médias, évoluent pour refléter les changements de société. À leurs débuts, ils étaient souvent destinés à un public spécifique (jeune, masculin, blanc), mais leur popularité croissante a élargi leur audience. Cette démocratisation invite naturellement à une plus grande diversité, afin que davantage de joueurs puissent se reconnaître dans les personnages et récits. Cela n’enlève rien aux œuvres plus traditionnelles, mais enrichit l’offre globale.

- La représentation dans les jeux vidéo est cruciale pour de nombreux joueurs, surtout ceux qui n’ont pas toujours vu leur identité reflétée dans les médias. Voir des personnages variés en termes de genre, de couleur de peau ou d’orientation sexuelle peut aider à normaliser ces réalités et à briser les stéréotypes. Ce n’est pas une attaque contre les anciennes normes, mais une adaptation aux réalités d’un monde diversifié.

- Les critiques du « woke » dans les jeux vidéo traduisent parfois une peur du changement ou une incompréhension des motivations derrière ces évolutions. Les traditions, même dans le divertissement, peuvent être rassurantes, et les bouleverser peut être perçu comme une menace. Cependant, il est important de distinguer une préférence personnelle d’une opposition aux progrès sociaux.

- Le débat autour du « woke » ne se limite pas aux jeux vidéo, il est ancré dans un contexte plus large de polarisation culturelle et politique. Certains groupes en font une question identitaire ou idéologique, ce qui complique le dialogue. Pourtant, au fond, l’objectif devrait être de permettre à chacun de profiter des œuvres qu’il aime, tout en accueillant de nouvelles perspectives.

- La diversité ne signifie pas la disparition des héros masculins ou des récits traditionnels, mais plutôt l’ajout de nouvelles histoires et de nouveaux points de vue. Ce n’est pas une compétition, mais une extension des possibilités créatives.

L’inclusion dans les jeux vidéo est une évolution positive. Elle enrichit les récits, élargit le public, et permet à chacun de se sentir accueilli. Ce ne sont pas les voix des haineux qui devraient êtres les plus fortes mais celles des gens qui, comme moi, savent voir au-delà.

Je remercie tout particulièrement chatGPT pour avoir largement adoucit cet article à l’origine trop salé... Je ne prétends pas détenir la vérité absolue (vous ne devriez pas non plus), mais j’espère que cela touchera quelques âmes perdues. 

 

Mass Effect, le meilleur jeu du siècle, n'est-il pas une référence en terme de diversité ?